On a tous quelque chose qui nous fait peur, cette chose qui nous hante jours et nuits et dont on n’arrive pas à se défaire une seule seconde. On vit avec et même si c’est difficile, voire impossible, on essaye de vivre avec. Et ce genre de choses, ça peut vous détruire un homme, le mettre au pied du mur, l’écraser, l’anéantir. Il est dit que l’on apprend de nos échecs, qu’il faut tomber pour apprendre à se relever. Que c’est en vivant des choses fortes que l’on devient plus fort … Mais croyez-moi, ce ne sont là que de belles paroles bien dites et bien pensées, mais ces gens-là n’ont à mon avis pas pris conscience du poids de leurs mots. Car ces mots ne sont pas des mots à dire à une personne qui a vécu une chose affreuse, au risque de se ramasser un poing en pleine face. Si Alec devait vous raconter sa pire expérience et son pire souvenir, il ne devrait pas aller chercher très loin pour vous le raconter. Sauf que là encore, vous seriez face à un mur car Alec ne vous la raconterait pas. Cette expérience fut si dure et éprouvante que .. elle hante encore et toujours ses nuits, si bien qu’à force, s’en est devenu une phobie. Alec n’avait que onze ans à l’époque, et déjà son père passait ses journées affalé dans son fauteuil tout crasseux avec des tas de cadavres de bière autour de lui « Alec, une autre bière !! ». C’est l’habitude dans la maison, son père lui crie de lui ramener une bière, et lui, il saute jusqu’au frigo pour lui en ramener une. Parce que s’il ne le fait pas, il risque de se manger une baffe ou un truc dans le genre. Et oui, en plus de boire, monsieur Fitzburg a la boisson violente, et parfois même très violente. Le petit en a déjà vues de toutes les couleurs, alors c’est aussi pour ça qu’il est un peu esclave de cet homme, de ce bon à rien. Seulement cette fois-ci, Alec n’a rien entendu. Non, il n’a rien entendu parce qu’il s’est octroyé du temps pour lui, pour une fois. Oh ce n’est rien de très luxueux, il s’est simplement octroyé un bain, au calme, dans cette maison délabrée et qui tombe en ruines de partout. « Alec !! Ma bière !!! » inutile d’insister, son fils n’entend rien. Ce gros lourd n’aurait qu’à se lever -pour une fois- et aller chercher sa bière lui-même. Sauf que non, au lieu de se lever et de se diriger vers le frigo, il se lève et monte les escaliers. C’est à pas lourds mais rapides qu’il arrive jusqu’à la salle de bain et l’ouvre à la volée. Alec qui était si bien se redresse dans un sursaut. « Je t’ai dit d’aller me chercher une bière ! » le petit voudrait bien protester, dire un mot, mais son père l’en empêche. Pris dans son élan, il bondit sur son fils et l’attrapa par la gorge pour ensuite l’enfuir sous l’eau « Est-ce que tu comprends maintenant ?! Hein !!! ». Seulement Alec n’y comprenait rien, il était là, la tête enfuie sous l’eau et essayait de se débattre, il se démenait complètement. Une seconde de plus et il y restait. Mais son père le lâcha enfin et s’en alla, lui tournant le dos et se disant à lui-même « Qu’un bon à rien ce fils ! … ». Alec a très mal vécu cette expérience et depuis, ce n’est pas qu’il a la phobie de l’eau, mais presque. Il n’ose plus prendre de bains et a remplacé ce petit plaisir par des douches. Ça va plus vite et ça économise de l’eau, qu’il vous dirait aujourd’hui. Et il n'a plus jamais adressé la parole à son père et il a fini derrière les barreaux. Sa mère quand à elle, elle a à son tour plongé dans l'alcool, en proie à une ivresse quotidienne.

On fait tous des erreurs. La seule différence, c’est qu’il y en a qui en font plus que d’autres. Et aussi que certaines ont un petit peu plus d’impact sur votre vie. A court ou à long terme. « Je suis enceinte … » ces mots raisonnaient dans sa tête comme le son d’un gong qu’on n’arrête pas de frapper. La tête entre les mains, assis sur son divan, Alec ne cessait de se torturer les méninges. Seul dans son appartement, il se leva, soudain pris de colère « Non ! C’est hors de question » lâcha-t-il à voix haute, bien que personne ne fut là pour l’entendre. « Non mais elle est folle ? Je suis trop jeune, et elle encore plus ! Un bébé c’est pas rien … ça vous colle à la peau jusqu’à la fin de votre vie. C’est trop de responsabilités, je ne suis qu’un gamin, MERDE ! » son monologue lui servait peut-être à faire échapper sa colère, ou encore mieux à réaliser ce qui était entrain de se passer en ce moment même, mais sa décision était prise : garder cet enfant serait faire preuve qu’un énorme manque de conscience et de responsabilités. Refuser d’avoir cet enfant est la meilleure solution, aussi bien pour lui que pour Devon ou encore pour l’enfant lui-même. Parce qu’après tout, ce n’est pas une vie que de grandir entre des cahiers d’école et des parents qui ne s’adressent la parole que pour parler pension alimentaire et garde partagée, se disputant dans tous les autres cas de discussion possible. « Non mais c’est pas vrai … dans quelle merde tu t’es fourrée Alec ?! » Mais le pire dans l’histoire, c’est peut-être que Devon fut la première à lui ouvrir les yeux, la première fille avec qui il ne jouait pas, du moins la première avec qui il n’en avait aucune envie. Elle aurait pu le changer, lui donner foi en quelque chose, le faire avancer, regarder droit devant soi vers l’avenir. Au lieu de ça, cet évènement pour le moins imprévu leur était tombé dessus et avait tout foutu en l’air. Devon aurait pu être la première fille qu’il aimait vraiment, mais parfois la vie en décide autrement pour nous.

Dix-huit heures, Alec venait de finir son service et s’apprêtait à rentrer chez lui, insérant la clé dans la serrure. Un moment de réflexion s’en suivit, court mais à la fois lourd de sens. Il défit la clé et en choisit une autre dans son trousseau, se rendant alors devant la porte de l’appartement d’en face. Sans faire de bruit pour se faire remarquer, il tourna la clé dans la serrure et ouvrit la porte. C’est alors qu’il aperçut Devon avec leur fille May dans les bras, toutes deux souriantes et pétillantes. Instinctivement, un léger sourire se dessina sur les lèvres du jeune homme. Face à cette image, il ne pouvait se dire qu’une seule chose : aucun regret d’avoir décidé de garder cet enfant et de s’être engagé auprès des deux seules femmes de sa vie. Parce que même si ce n’est jamais rose entre les deux ex amants, quand vous faites un enfant avec quelqu’un, vous vous retrouvez lié à cette personne à tout jamais. Et en ce moment précis, deux parties font rage à l’intérieur de lui, celle qui lui dit `Tout sauf prêt´ et l’autre qui lui répète sans cesse `Fais-là tienne pour l’éternité´. Avec le temps, Alec a appris que l’on devait suivre son cœur mais qu’il fallait toujours prendre son cerveau avec soi, alors le choix est fait. « Alec ? Qu’est-ce que tu fais là ? C’est demain que tu dois prendre la petite, non ? » ayant remarqué sa présence dans l’encadrement de la porte d’entrée, Devon s’était approchée de lui. « Je … non, oui je sais, désolé … j’avais … j’avais juste envie de vous voir toutes les deux. » balbutia-t-il. « T’es sûr que ça va ? » « Oui, pourquoi … » elle changea soudain d’air « Ecoute, je sais pas à quoi tu joues, mais c’est pas marrant. Rentre chez-toi. » « Quoi ? mais qu’est-ce que … » « Oh arrête Alec, je te connais ! Tu crois que tu peux te jouer de nous comme ça ? Débarquer sans prévenir et me faire croire que t’as juste envie de nous voir parce que ... Parce que … Parce que quoi d’ailleurs, parce qu’on te manque ?! C’est la blague du siècle, et je ne tomberai pas dans ton jeu, c’est fini, tu entends ?! » Intérieurement, Alec tomba trois étages plus bas avant de reprendre de plus belle « Tu sais quoi ? T’as raison, je ne fais que jouer avec vous ! Je joue constamment, parce qu’on est voisins et que je joue un rôle qui n’est pas le mien en évitant de ramener des filles dans mon appartement simplement pour ne pas te faire souffrir plus ! Alors t’as raison, c’est fini, je déménage ! ». Alec claqua la porte en partant, ce qui mit en route les pleurs et cris de sa fille.

« Dis-moi ma puce, qu’est-ce que tu penses de Sarah ? » sans décoller les yeux de son dessin, elle lui répondit « Je ne sais pas … » « Comment ça tu ne sais pas ? Tu dois bien savoir si tu l’aimes bien ou non ? » « Je ne sais pas, parce que maman elle, ne l’aime pas. » Le jeune père ne resta pas insensible aux dires de sa fille. L’envie lui rongeait de savoir ce que sa mère lui disait exactement à son sujet, mais il se contenta d’en rester là afin de ne pas éveiller les soupçons, parce que s’il enquête, sa fille de dix ans n’hésitera certainement pas à avoir la langue bien pendue avec sa mère également pour lui révéler que son avis sur sa nouvelle copine l’intéresse beaucoup. A vrai dire, Sarah est sa première vraie relation depuis des années, et c’est aussi la première qu’il s’autorise à parler avec sa fille, et s’il le fait, ce n’est pas pour rien. Cinq mois que leur relation dure et la jeune fille semble avoir accepté que ce tombeur soir déjà parent d’une petite fille et accepterait de partager son quotidien avec. Un énorme pas en avant dans la vie de quelqu’un comme Alec. Mais ce qui l’intéresse aujourd’hui, c’est de savoir que cette nouvelle relation qui semble se stabiliser irrite au plus haut point la mère de sa fille. S’intéresserait-elle encore à lui ? Il n’est jamais trop tard pour le savoir et déceler des soupçons de jalousies.